ALLES KANN MOTIV SEIN
Kosmiches, cosmos,
ZeitKritik, critique du temps,
Landschaften, paysages,
Sachen, choses,
Menschen, êtres humains,
Stimmungen, humeurs,
Sprache - langue -
Alles tout
kann Motiv sein. peut être motif.
Rose Ausländer,
1971.
COLLECTION
sur le motif
.
Tout peut être motif. Aucune exclusive, donc : aucune détermination a priori qui puisse délimiter le champ précisément immense de l’écriture - qu’elle se pense ou non dans le moment même de son inscription comme littérature. Le poème naît de la rencontre, de l’occasion, de la circonstance, comme le disait déjà Goethe à Eckermann un certain 18 septembre 1823 :
“Le monde est si grand, si riche et la vie offre un spectacle si divers que les sujets de poésie ne font jamais défaut. Mais il est nécessaire que ce soit toujours des poèmes de circonstances, autrement dit il faut que la réalité fournisse l’occasion et la matière (...). La réalité doit fournir le motif, le point de départ, le noyau proprement dit.”
Le motif dit donc l’ouverture au dehors, un certain dessaisissement, la surprise plutôt que l’emprise ; écrire sur le motif comme on peint sur le motif, donc : en étant aux choses, à même ce qui se donne.
Mais ce qui se donne c’est aussi les mots qui viennent un à un, ou en groupe, espacés ou en foule, en grappe ou seuls : cela ne peut pas ne pas modifier l’écriture en cours, et même retravaillée : lui donner nouvelle direction et élan - sans pour autant nier ce qui au départ fut à leur naissance ou à l’origine de leur jaillissement.
Car l’écoute du mot, de sa forme singulière - de sa graphie, de sa sonorité, de son historicité peut-être, de ce qui avec lui, en lui constelle sans aucun doute - lui aussi, peut être, va être motif ; et ce n’est pas là sortir du monde, fuir les choses dans un au delà de la langue mais bien les retrouver dans ses tours et ses détours : autrement, à nouveau, à neuf : mieux peut-être.
Ainsi dans cette collection : donner à voir et à entendre une telle écriture ouverte/une telle ouverture de l’écriture. Place offerte alors aux tracés de l’image, aux dessinateurs ou aux peintres, graveurs en taille-douce ou autres, si et quand nécessaire : au geste qui (s’)inscrit.
Le mot de “motif” dit en fait beaucoup : l’im/pulsion qui donne l’élan, raisonnable ou pas donc, d’où jaillit la nécessité du tracer, de l’inscrire, de l’écrire ; ce à quoi le trait s’exerce presque indéfiniment, ce d’après quoi il se déploie, s’infinitise toujours ; le répété - inscrit, chanté, joué - qui fait l’unité d’une pièce, d’une œuvre, etc. : d’un ensemble quel qu’il soit.
Il y va alors du sujet, de l’objet ; du musical, dans ce qui les rapporte l’un à l’autre : du rythme qui accorde le tout. Ou le toujours encore fragmenté. Dans les deux sens du verbe “accorder” : harmoniser ; octroyer.
Écrire sur le motif c’est alors, en un point toujours mouvant et inconscient du corps, prêter l’oreille à/fixer son regard sur ce qui du réel vient - qui ne se confond pas avec la réalité et peut même en dissembler largement.